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Mais si le progrès des sciences et des arts n’a rien ajouté à notre véritable félicité ; s’il a corrompu nos mœurs, et si la corruption des mœurs a porté atteinte à la pureté du goût, que penserons-nous de cette foule d’auteurs élémentaires qui ont écarté du temple des muses les difficultés qui défendaient son abord, et que la nature y avait répandues comme une épreuve des forces de ceux : qui seraient tentés de savoir ? Que penserons-nous de ces compilateurs d’ouvrages qui ont indiscrètement brisé la porte des sciences et introduit dans leur sanctuaire une populace indigne d’en approcher, tandis qu’il serait à souhaiter que tous ceux qui ne pouvaient avancer loin dans la carrière des lettres eussent été rebutés dès l’entrée, et se fussent jetés dans des arts utiles à la société ? Tel qui sera toute sa vie un mauvais versificateur, un géomètre subalterne, serait peut-être devenu un grand fabricateur d’étoffes. Il n’a point fallu de maîtres à ceux que la nature destinait à faire des disciples. Les Verulam, les Descartes, et les Newton, ces précepteurs du genre humain, n’en ont point eu eux-mêmes ; et quels guides les eussent conduits jusqu’où leur vaste génie les a portés ? Des maîtres ordinaires n’auraient pu que rétrécir leur entendement en le resserrant dans l’étroite capacité du leur. C’est par les premiers obstacles qu’ils ont appris à faire des efforts, et qu’ils se sont exercés à franchir l’espace immense qu’ils ont parcouru. S’il faut permettre à quelques hommes de se livrer à l’étude des sciences et des arts, ce n’est qu’à ceux qui se sentiront la force de marcher seuls sur leurs traces, et de les devancer ; c’est à ce petit nombre qu’il appartient d’élever des monuments à la gloire de l’esprit humain. Mais si l’on veut que rien ne soit au-dessus de leur génie, il faut que rien ne soit au-dessus de leurs espérances ; voilà l’unique encouragement dont ils ont besoin. L’âme se proportionne insensiblement aux objets qui l’occupent, et ce sont les grandes occasions qui font les grands hommes. Le prince de l’éloquence fut consul de Rome ; et le plus grand peut-être des philosophes, chancelier d’Angleterre. Croit-on que si l’un n’eût occupé qu’une chaire dans quelque université, et que l’autre n’eût obtenu qu’une modique pension d’académie ; croit-on, dis-je, que leurs ouvrages ne se sentiraient pas de leur état ? Que les rois ne dédaignent donc pas d’admettre dans leurs conseils les gens les plus capables de les bien conseiller ; qu’ils renoncent à ce vieux préjugé inventé par l’orgueil des grands, que l’art de conduire les peuples est plus difficile que celui de les éclairer ; comme s’il était plus aisé d’engager les hommes à bien faire de leur bon gré, que de les y contraindre par la force : que les savants du premier ordre trouvent dans leurs cours d’honorables asiles ; qu’ils y obtiennent la seule récompense digne d’eux, celle de contribuer par leur crédit au bonheur des peuples à qui ils auront enseigné la sagesse : c’est alors seulement qu’on verra ce que peuvent la vertu, la science et l’autorité animées d’une noble émulation, et travaillant de concert à la félicité du genre humain. Mais tant que la puissance sera seule d’un côté, les lumières et la sagesse seules d’un autre, les savants penseront rarement de grandes choses, les princes en feront plus rarement de belles, et les peuples continueront d’être vils, corrompus, et malheureux.
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